Zone de la description |
Histoire: | Henri-Salomon est l'un des huit enfants de Jean-Jacques Brunner (1730-1805). Son père, originaire d'Andwil (TG), s'est installé à Lausanne, où il tient, avec son épouse Suzanne née Emery, un café à la rue de Bourg 9, dans une maison qui a appartenu au potier d'étain Jean-Jacques Reuchlin durant le dernier quart du XVIIIe siècle. Si Henri-Salomon Brunner, le troisième fils de ce couple, a, comme ses aînés, des parrains qui ne sortent guère de l'ordinaire, si ce n'est qu'ils appartiennent pour la plupart à des connaissances alémaniques du père, il n'en va pas tout à fait de même pour l'aînée des filles. Catherine-Alexandrine (1783-1862). Ses prénoms rappellent ceux de l'orfèvre-architecte Alexandre Perregaux et de son épouse Catherine Maisonny. Manifestement, ces deux familles se fréquentent, et peut-être le jeune Henri-Salomon a-t-il bénéficié d'une formation artistique chez le parrain de sa soeur ?
Quoiqu'il en soit, devenu artiste-peintre, Brunner, qui signe le plus souvent "H. Fontaine", épouse en janvier 1824 Marie-Louise Simonet (1799-1825), "marchande", qui lui apporte en dot un modeste mobilier, dûment consigné dans leur contrat de mariage, alors que le jeune homme donne à celle-ci un capital de 2'000 francs. Milieu de condition moyenne, donc, qu'attestent également les deux témoins des mariés, Frédéric Bernard, étudiant en théologie, et Etienne-Louis de Bons, boulanger. Henri-Salomon a le chagrin de perdre, l'année suivante déjà, sa jeune épouse, morte en lui laissant un fils; il élèvera ce dernier en vivant de son art, car il est qualifié de peintre aussi bien en 1825 qu'à sa mort, survenue en 1837 à l'âge de cinquante-sept ans et demi. L'artiste, toutefois, est ignoré des ouvrages de référence usuels et semble pratiquement inconnu dans nos principaux musées. Décédé au moment même où l'on projette la construction du Musée Arlaud, il n'a pas eu l'honneur d'entrer dans les collections de ce dernier.
Les Brunner entretenaient avec la famille Perregaux desrelations d'estime; on pourrait donc se demander si le peintre n'a pas eu l'occasion de portraiturer ses amis, car les descendants des architectes lausannois ont conservé - en partie tout au moins - une collection de médaillons. La prudence toutefois s'impose, car l'une des filles d'Alexandre Perregaux, Jeanne-Marie-Françoise Ferrier-Perregaux (1777-1838), presque exactement contemporaine d'Henri-Salomon, est elle aussi peintre, pastelliste et miniaturiste. Il faut lui attribuer sans doute les honnêtes miniatures sur ivoire représentant son père Alexandre Perregaux (1749-1808), sa soeur Françoise-Alexandrine (1776-1844) et un jeune homme anonyme qui pourrait être son frère Georges Perregaux (1783-1859), agent secret en 1814 puis négociant à Paris. Par ailleurs, le portrait d'une parente alliance, Catherine-Elisabeth Muller, née Ferrier (1780-1835), future belle-mère d'Henri Perregaux, est d'un tout autre style, puisqu'il s'agit d'un remarquable profil dessiné sur carton au crayon graset très légères touches de sanguine, selon une technique alors en vogue. En outre, substituent deux petits portraits ovales sur ivoire, de qualité artistique supérieure à ceux de Marie Ferrier-Perregaux, montrant l'architecte Henri Perregaux et sa femme Adèle, née Muller (1807-1882), épousée en 1828. De ces deux médaillons, le second est d'une technique légèrement pointilliste, notamment pour le fond. Pourrait-il être attribué également à Henri-Salomon Fontaine ? Il est bien difficile de l'affirmer en l'état actuel de nos connaissances, mais on peut espérer que d'autres oeuvres bien attestées de cet artiste de qualité resurgiront un jour.
Louis-Henri Brunner (1825-1865)
Dessinateur chez Henri Perregaux
En 1837 donc, à sa mort, Henri-Salomon Brunner laisse un fils orphelin de douze ans, Louis-Henri. Celui-ci, pourvu d'un tuteur en la personne du major, bientôt colonel, Alexandre Bolle, commissaire des guerres, est sans doute élevé par sa tante Catherine-Alexandrine, cohéritière de l'ancienne maison familiale de la rue de Bourg. Devenu adulte, en 1846 - il a alors 21 ans -, et sans doute déjà plus tôt, il travaille comme dessinateur dans l'atelier de l'architecte Henri Perregaux. Celui-ci, en effet, occupe en permanence plusieurs "commis", dont certains, comme Louis Wenger, Fridolin Simon, Achille de La Harpe, Henri Boisot, François Gindroz et Jules Verrey, vont mener ensuite une belle carrière d'architectes indépendants. D'autres, comme un dénommé Beuchly, employé en 1822, ou Louis-Henri Brunner, dont il est question ici, resteront inconnus; mais tous acquièrent une solide instruction par la pratique, seule formation d'ailleurs qui soit dispensée sur territoire vaudois à cette époque, puisque - à la différence de Genève et en dépit de plusieurs tentatives - tout enseignement technique véritablement spécialisé y fait encore défaut : l'"Ecole spéciale" de Lausanne n'ouvre en effet ses portes aux futurs ingénieurs et architectes qu'en 1853.
Hormis les plans emportés en souvenir par Louis-Henri (qui, à l'époque de son apprentissage, signe encore volontiers Brunner), il n'existe, à notre connaissance, aucune documentation relative à l'enseignement que Perregaux dispensait à ses "commis". C'est dire l'intérêt de ces dessins, même s'ils ne donnent guère de renseignements sur l'aspect théorique de cet enseignement; ils permettent tout au moins de se faire une idée du gendre d'exercices donnés, et de l'habilité graphique atteinte par l'élève. Il est à noter que les travaux conservés par Fontaine, dont fort peu sont datés, témoignent d'une bonne maîtrise et ne reflètent sans doute pas l'ensemble de son apprentissage, mais essentiellement la période terminale. Il s'agit manifestement de copies des plans du maître ainsi que d'exercices fictifs, et non par de véritables projets élaborés pour un client réel, à en juger par l'énoncé volontairement vague des titres; ceux-ci sont, dans les cas concrets traités par Perregaux, parfaitement précis.
Emigration aux États-Unis
Son apprentissage terminé, cette page architecturale va se tourner bientôt, Henri Brunner fait la connaissance d'Ernestine Melber, une jeune Allemande de vingt ans originaire du Wurtemberg, qui, selon une tradition familiale, travaillait comme gouvernante chez un pasteur Monneron. Il ne peut guère s'agir là que de Pierre-Samuel Monneron, domicilié à la rue Etraz et dont un fils, Charles-Henri-Louis, après des études vers 1838 à Stuttgart, puis un voyage en 1847 dans le Wurtemberg, justement, va émigrer l'année suivante aux USA, avec bien d'autres Vaudois, comme les Sterchi, Chavannes, Gouffon, Buffat, Truan, Pellaux, Porta, Blanc, Rochat, etc. qui forment une véritable petite colonie agricole à Knoxville au Tennessee.
A la même époque, toujours selon la tradition familiale, Henri et Ernestine se marient en Allemagne, puis entreprennent eux aussi, vers 1848, leur voyage vers l'Amérique en compagnie d'Emmanuel Dutruit, un de leurs amis.
Partis donc eux aussi pour la grande aventure, Henri et Ernestine Fontaine, après vingt-quatre jours de bateau du Havre à New York, poursuivent leur chemin vers le nord-ouest, dans les régions où se sont installés déjà un grand nombre de leurs compatriotes et se retrouvent presque aux confins du monde "civilisé", aux limites d'un dense réseau de chemin de fer qui traduit assez exactement l'avance de l'emprise des colons occidentaux sur les territoires indiens. Les Fontaine, cherchant d'abord en Illinois, durant deux ans, un endroit où s'installer, s'arrêtent à Highland (la New Switzerland fondée vers 1831-1833 par Salomon Köpfli et Joseph Suppiger, où s'établissent toutefois surtout des Suisses alémaniques, malgré une publication en français de Louis Rilliet de Constant). Puis ils vont à Centralia, à l'est de Saint-Louis, dont ils repartent cependant, chassés par le choléra et poussés sans doute aussi par l'espoir de pouvoir trouver plus loin de meilleures terres. Reprenant leur migration, ils remontent le cours du Mississipi et du Wisconsin jusqu'à Prairie du Sac, puis s'implantent finalement à Grand Rapids (actuellement Wisconsin Rapids), village comprenant alors environ 340 habitants. Le "centre" dont ils dépendant est Portage, petite ville de 204 maisons, dont la population de 1250 âmes traduit assez le caractère pionnier de la région; on y compte en effet 828 hommes pour 422 femmes seulement, dont une seule noire. Henri et Ernestine Fontaine s'installent donc dans un Etat tout récent, dont le territoire a été définitivement conquis sur les Indiens en 1832 et qui a été intégré en 1848 seulement à la confédération des États-unis; des toponymes comme Lake Geneva ou New Glarus (fondée en 1845) témoignent d'une forte présence des colons helvétiques dans ce secteur méridional de ce que l'on a appelé le "Swissconsin".
Henri Fontaine, arrivé en juillet 1850, ne peut vivre d'architecture dans ces régions encore sauvages; il mène, sans doute comme d'autres immigrants francophonesqu'il mentionne dans ses lettres, une vie plutôt campagnarde, avec un grand jardin, une vache et des poules; mais, surtout, il gère un general store, soit une "épicerie-quincaillerie-droguerie" où chacun peut trouver l'indispensable. Ces années, sans doute, n'ont pas été faciles et les bruits courent vite jusqu'en Suisse.
La guerre de Sécession
Fontaine, alors âgé de 38 ans, s'enrôle comme volontaire dans les troupes de l'Union (nord), durant la Guerre de Sécession, avec une dizaine d'autres hommes de Grand Rapids. Sans doute est-il animé plutôt par des motivations patriotiques et humanitaires proches de la thématique du roman de Harriet Beecher-Stowe, La Case de l'Oncle Tom (1850), que par des principes politiques dans le genre de ceux défendus par les leaders révolutionnaires, qui observent avec intérêt le conflit : Labor cannot emancipate itself in the white skin, where in the black it is branded, dit Marx dans son Capital (1867).
Quoiqu'il en soit, Henri Fontaine, laissant derrière lui une épouse enceinte et cinq enfants, se retrouve incorporé à un régiment d'infanterie du Wisconsin, rattaché à l'armée de William Tecumseh Sherman, l'un des grands généraux des troupes de l'Union (nord). A ce titre, il va entamer, à partir du 24 janvier 1864, une cruelle aventure militaire dont, finalement, il ne reviendra pas.
Il meurt le 30 avril 1865, d'épuisement général ou des suites d'une fièvre typhoïde.
Ainsi donc se termine abruptement la carrière de cet Helvète émigré. Signalons seulement que sa veuve Ernestine née Melber, âgée de 36 ans, élèvera avec courage ses enfants, conservant un certain temps son magasin en dépit, nous dit sa nécrologie, de rapines opérées parfois par les Indiens. Elle se remariera d'ailleurs en 1869 avec Eusèbe La Vigne, un riche marchand dont elle aura encore un fils. |
|